Fissures et sinistralité du carrelage : causes, réglementations et solutions préventives
Les revêtements de sols intérieurs, en particulier le carrelage, continuent d'occuper une place prépondérante dans les sinistres de construction en France, tant dans les maisons individuelles que dans les logements collectifs. Selon le dernier observatoire de la qualité de la construction publié par l'Agence Qualité Construction (AQC), 85 % des sinistres dans cette catégorie concernent le carrelage, avec des problématiques récurrentes telles que les fissurations, les défauts d'adhérence, et les problèmes d'étanchéité. En tant que courtier spécialisé en assurance construction, ABE Courtage s'interroge sur les raisons de cette sinistralité élevée et souhaite accompagner les entreprises dans une démarche de prévention et d'amélioration des risques. Cet article explore les causes de ces sinistres, les évolutions réglementaires récentes, et propose des pistes pour une meilleure maîtrise des risques.
Sommaire
L'Agence Qualité Construction (AQC) a récemment publié son dernier observatoire de la qualité de la construction. Ce rapport présente un classement des dix éléments d'ouvrage les plus affectés par des sinistres, tant en termes de fréquence que de coûts de réparation, pour les travaux neufs sur la période de 1995 à 2022. Ces données doivent toutefois être interprétées avec prudence, comme le souligne l'AQC.
Il est notable que, depuis plusieurs années, les revêtements de sols intérieurs occupent la première place en termes de sinistralité dans les maisons individuelles. Pour les logements collectifs, ces revêtements se classent au quatrième rang en fréquence, mais sont en première position pour les coûts de réparation :
Maisons individuelles :
• 1ère place en fréquence de sinistres : 11,2 % de tous les dommages enregistrés sur la période 2020-2022
• 1ère place pour les coûts de réparation : 17,2 % des coûts de réparation des sinistres
Logements collectifs :
• 4ème place en fréquence de sinistres : 7,3 % de tous les dommages enregistrés sur la période 2020-2022
• 1ère place pour les coûts de réparation : 12,7 % des coûts de réparation des sinistres
L'analyse de ces chiffres, ainsi que d'autres données détaillées, est disponible dans la publication de l'AQC. Il est important de rappeler que 85 % de ces sinistres des revêtements de sols intérieurs concernent les carrelages.
Fissurations et défauts d'adhérence
La sinistralité du carrelage se manifeste principalement par les fissurations des carreaux, un phénomène que je constate régulièrement. Ces fissures surviennent pour diverses raisons, notamment en raison de la mauvaise qualité des chapes, de l'absence de joints de fractionnement adéquats, ou encore des mouvements structurels du bâtiment. À cela s'ajoute le retrait des chapes ciment, souvent pointé du doigt, bien que, selon mon analyse, il ne soit pas la seule cause. Les défauts d'adhérence, eux, sont souvent dus à des erreurs lors de la pose, telles que l'utilisation de colles inadaptées ou une préparation insuffisante du support. J'observe également que les techniques de pose incorrectes, comme l'absence de double encollage ou un temps d'ouverture trop long, peuvent compromettre la qualité de l'adhérence des carreaux.
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Problèmes d'isolation acoustique et d'étanchéité
Les problèmes d'isolation acoustique et d'étanchéité sont d'autres causes fréquentes de sinistralité des carrelages. L'isolation acoustique est particulièrement critique dans les logements collectifs, où les bruits d'impact, comme les pas ou les objets tombés, peuvent être une source majeure de nuisance. Je remarque souvent que ces défauts sont dus à l'absence de sous-couches acoustiques ou à une mauvaise qualité des matériaux isolants. Quant aux problèmes d'étanchéité, ils concernent principalement les zones humides telles que les salles de bains, les douches à l'italienne et les piscines. Une mauvaise étanchéité sous le carrelage peut entraîner des infiltrations d'eau, ce qui est non seulement coûteux à réparer, mais peut également poser des risques de santé importants en favorisant le développement de moisissures.
Révision du DTU 52.1 et contribution des acteurs du secteur
Par rapport à la période précédente (2013 – 2022), les chiffres de la sinistralité du carrelage sont globalement en baisse. L’évolution réglementaire et notamment la révision du DTU 52.1 (carrelage scellé), en février 2020 est une des explications de cette amélioration. Les révisions des CPT (Coefficient de Pleine Terre) y contribuent également, mais je soulignerai le très gros travail de l’UNECP-FFB (Union Nationale des Entrepreneurs Carreleurs Chapistes Projeteurs P.U), de la CAPEB (Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises) et d’assureurs qui sensibilisent leurs adhérents pour quitter cette première place, bien inconfortable. J’apporte une mention spéciale pour Nadège OMBE, Secrétaire Générale de l'UNECP-FFB, dont j’ai pu, personnellement, apprécier la très grande compétence, le travail impliqué et les excellents messages de prévention (PS : reconnaissance totalement désintéressée de ma part).
J’associe, bien évidemment, à cette prise de conscience de la sinistralité, les entreprises qui sensibilisent leurs collaborateurs à la qualité d’exécution et qui, par exemple, refusent de réaliser une chape sans ravoirage, en présence de fourreaux au sol.
Les effets de la révision du DTU 52.1
Je suis néanmoins interpellé par cette évolution du DTU 52.1 et l’interdiction pure et simple de la technique de carrelage scellée en pose désolidarisée et flottante, pour les planchers intermédiaires des bâtiments d'habitation collectifs. Cette décision radicale témoigne de la volonté de juguler la sinistralité, ce qui est positif, mais également de l’incapacité à retenir une piste d’amélioration, ce qui témoigne de risques non maîtrisables.
Il est vrai que les causes de sinistre de carrelage sont très variables et qu’il serait prétentieux de prétendre à les maîtriser.
Les sinistres de carrelage que j’ai rencontrés comportaient toujours plusieurs causes. Peu de sinistres mettaient en cause uniquement la conception et le carreleur était souvent seul à devoir répondre des dommages.
Dès à présent, je précise que je ne partage pas l’analyse, que je trouve trop répandue, sur le retrait hydraulique des chapes ciment. Je prétends que cette cause est susceptible de concerner les sinistres survenus jusqu’à 2 ou 3 ans après la réception. Toutefois, les statistiques démontrent que la fissuration intervient, en moyenne, vers la 7ème année et le retrait du ciment ne me paraît pas raisonnablement envisageable dans ce délai. J’ai vu des fissures de carrelage sur des chapes bien jaunes… Le retrait hydraulique, après le jeune âge a une tendance asymptotique et ne peut se révéler après 5 ans, à mon avis. La baisse du dosage en ciment opérée en 2010 dans le DTU 52.1 n’a pas modifié la fissuration.
L’idée selon laquelle la chape et le carrelage se comportent comme une éponge qui sèche avec un comportement différentiel entre le dessus et le dessous est très logique, mais elle ne me paraît également valable que pour des sinistres en première, voire deuxième année. Il s’agit de la phase de séchage de la chape, qui s’effectue au premier âge de l’ouvrage. La dissipation de l’eau piégée entre le support et le carrelage s’effectue au début de la vie du bâtiment.
Rôle de l'expertise et des diagnostics techniques
Je reconnais que la recherche des causes du sinistre de fissuration de carrelage est rarement menée en profondeur, s’agissant d’un lot unique sur lequel la présomption de responsabilité pèse. Dans les rares cas où la chape et le carrelage ont été confiés à 2 lots (carrelage collé), le simple constat de fissures sur la chape (après dépose du carreau fissuré) suffit pour ne retenir que la responsabilité du chapiste, sans aller plus loin dans les investigations. Parfois le sondage est mené en profondeur pour découvrir, éventuellement un fourreau et donc l’absence de ravoirage. Le défaut de conception et/ou de suivi d’exécution est alors retenu.
Une recherche plus approfondie des causes des sinistres permettrait de mener une analyse plus documentée, mais telle n’est pas la mission confiée à l’expertise construction. Gageons que les rapports de reconnaissance de supports exigés au carreleur depuis 2020 (annexe A DTU 52.1) pourront améliorer la connaissance technique au moment de l’expertise et "doper" l'analyse des causes.
En qualité d’ancien expert construction, je retiens comme cause récurrente des défauts d’exécution tels que :
• Le défaut de compacité de la chape (seule la friabilité est constatée mais sa densité est rarement mesurée en expertise)
• Le défaut de collage (temps d’ouverture, choix du peigne, simple encollage, écrasement des sillons)
• Les variations d’épaisseur de chape et défaut de planéité du support
• Des mises en service trop rapide (l’échafaudage roulant dès le lendemain de la pose du carrelage …)
• …
Je retiens également des défauts de produits qui concernent les isolants sous chape, ou l’inadaptation des travaux à l’usage réel des locaux, ou encore les sujets de locaux humides (douches de plain-pied et piscines). Je constate encore des absences de ravoirage.
Dilatation et retrait thermique des matériaux
Mais je place tout en haut de la liste le phénomène de dilatation/retrait. Je ne parle pas du retrait hydraulique (cf ci-dessus), mais de la dilatation et du retrait thermique des matériaux.
Il me paraît essentiel de retenir que le carrelage et la chape sont soumis à des contraintes liées au chauffage et au refroidissement des locaux. Lorsqu’il y a un plancher chauffant ce phénomène est majoré. Il est facile de constater que dès que le soleil traverse la baie vitrée du séjour, le carrelage derrière la vitre, chauffe très fortement (surtout s’il est sombre), alors que la température du carrelage à l’ombre ne varie pas. Il se déduit de ces sollicitations thermiques un phénomène normal de dilatation/retrait, avec une amplitude qui n’est pas neutre et dont les conséquences sont majorées par la forme des locaux. Dans le cas de la vitre, la zone chauffée se dilate et la zone à l’ombre ne varie pas de longueur. Dans le cas du plancher chauffant (qui n’exclut pas les vitres), la dilatation est globale. Chaque angle de local, chaque point de contact, créent un point dur, propice à des comportements différentiels. Que dire du poteau au milieu du séjour.
Je donne alors l’image du trombone qui trainent sur nos bureaux : Pliez-le une fois, deux fois, … Continuez votre communication téléphonique en triturant le trombone et constatez que le fil finira par casser avant la fin de votre communication, surtout si vous êtes bavard 😉. C’est ce que les scientifiques appellent la fatigue des matériaux.
Il n’est pas rare de constater en lumière rasante des déformations de carrelages, des pliures, avant même la fissuration du carreau (il faut se mettre à quatre pattes pour le voir, mais les experts adorent retourner en enfance !!! 😉)
Importance du respect des règles de l'art
Certes, les règles de réalisation des chapes et carrelages imposent déjà une désolidarisation périphérique et des fractionnements. Les angles rentrants sont déjà évoqués. Mes visites de chantier et mes expertises m’ont permis de constater que la désolidarisation périphérique est parfois remplie de laitance et qu’elle est bien souvent absente en pied d’huisserie. Autant de points durs bloquant la dilatation de l’ensemble. Le fractionnement est, de mon point de vue, le sujet le moins bien pris en compte dans les travaux de chape et carrelage. Combien de fois ai-je entendu : « le client ne voulait pas de joint au milieu du séjour » … Il est vrai que des recoupements de 40 m² (pose scellée désolidarisée) peuvent être disgracieux. Je n’ai vu que trop rarement le fractionnement au droit des poteaux ou au niveau des seuils des portes. La longueur de fractionnement souffre d’une « tolérance », qui aboutit à des séjours de 12 mètres de long sans recoupement, voire plus…
Suggestions pour l'amélioration des pratiques et des produits
Outre ce non-respect des règles de l’art, j’ajoute que ce fractionnement imposé par les textes (DTU 26.2 ou 52.1) ne l’est que pour les deux tiers supérieurs de la chape et du carrelage (articles 8.4 du DTU 26.2 et 8.3 du DTU 52.1). Il n’y a que dans le cas du carrelage scellé extérieur, que ce joint de fractionnement est imposé sur toute l’épaisseur carrelage et chape. Or, que penser du comportement de la chape en parfaite continuité dans le tiers inférieur (correspondant à au moins 2 cm). Il est certain que la dilatation se propage dans toute l’épaisseur de la chape et donc dans un élément dont la base est parfaitement continue. Ainsi, les longueurs entre joints de fractionnement se cumulent. J’ai personnellement constaté le phénomène de mise en compression de la chape (ondulations verticales de la surface avec fissurations des carreaux), alors qu’un profil de fractionnement avait été mis en œuvre.
Je veux également « dénoncer » les bords droits et la « disparition » des joints entre carreaux. La mise en compression des carreaux qui sont presque en contact n’est pas, non plus, un élément favorable. La largeur des joints tenant compte des tolérances de dimension des carreaux (6 mm pour des carreaux étirés, par exemple) et la qualité de leur remplissage méritent une attention particulière.
Par ailleurs, je relève que je ne dispose pas d’analyses sur la qualité des carrelages. Loin de moi l’idée de mettre en cause les fabricants de carrelages, mais je pense qu’une analyse exhaustive de la sinistralité mériterait de s’interroger sur la qualité des produits et l’éventuelle « fragilité » de certains, selon leur mode de fabrication ou leur finition. L’avènement des grands formats va-t-il conduire à une majoration du risque ou, au contraire, permettre une meilleure diffusion des contraintes de dilatations ?
La sinistralité du carrelage est en première ligne des pathologies en maisons individuelles et en logements collectifs. Les démarches de prévention qui ont été initiées tendent à réduire la part de ces dommages, mais la multiplicité des causes semble maintenir cette activité dans le haut du classement des sinistres.
Des démarches de prévention ont été initiées, qui semblent porter leurs fruits. Mais il reste, à mon avis, un très gros travail à mener pour réduire encore les risques de sinistres.
Tout d’abord un retour d’expérience des sinistres est nécessaire, soit par les investigations des experts, soit par les constats des entreprises lors des travaux de dépose des chapes.
Ensuite les règles de mise en œuvre devront être amendées en tenant compte des retours d’expérience. Le fractionnement toute épaisseur pourrait devenir la règle. La pose scellée désolidarisée flottante sur sous-couche acoustique mince pourrait revenir en technique courante, avec des prescriptions techniques modifiées. La composition des mortiers de scellement pourrait être révisée avec l’aide des cimentiers. Les fabricants de carreaux pourraient revoir les caractéristiques de leurs produits.
La sinistralité pourrait devenir petite, alors que les grands formats se développent.
Thomas Lemerre, expert conseil en construction chez ABE Courtage
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